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film noir - Page 3

  • La double énigme (1946)

    Un film de Robert Siodmak

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    Du réalisateur, les films noirs sont fameux ; Phantom Lady (alias Deux mains la nuit lors de sa sortie sur les écrans français) et sa mystérieuse jeune femme qui disparaît, Pour toi j'ai tué et ses amants tourmentés, jusqu'à son sommet, Les tueurs et sa structure en flash-back (tournée la même anné que La double énigme), relativement nouvelle pour l'époque. 

    La double énigme commence de but en blanc comme un polar, par sa scène de meurtre dans un noir d'ébène. Les indices convergent extrêmement rapidement vers une jeune femme, aperçue par de nombreux témoins, sans doute possible. Il s'agit d'une femme affable voire très gaie, qui tient un bureau de presse ; mais, aussi vite qu'elle avait progressé, l'enquête marque le pas, lorsque la police rend visite à la jeune femme : les enquêteurs y découvrent sa sœur jumelle. Devant le silence du duo, il apparaît impossible de départager qui de l'une ou de l'autre a commis l'odieux crime. Entretenant une illusoire similarité physique, elles s'habillent dans leurs premières scènes communes de tenues identiques en tout point : étoffes, couleurs, coiffure. L'époque, antérieure aux relevés d'empreintes et aux relevés d'ADN, poussent les enquêteurs dans des retranchements ambigües : car s'ils ne peuvent identifier la coupable avec certitude, une certitude aussi importante s'impose du même coup, l'une des deux étant forcément la meurtrière. On voit bien là les deux limites du film : trop de possibilités induites par deux personnes physiquement interchangeables, et un suspense inexistant car l'on connaît par avance la meurtrière. Deux pièges que Siodmak va réussir à transcender.

    Du film policier, même du film noir pur jus, l'on passe  à une déclinaison très en vogue dans le Hollywood des années 40 : le film de psychanalyse. La même décennie voie Le secret derrière la porte de Fritz Lang et La maison du docteur Edwardes de Hitchcock, qui aimera à utiliser les ressorts psychanalytiques dans plusieurs de ces films (Vertigo, 1958,  Psychose, 1960, Pas de printemps pour Marnie, 1964). Jamais pourtant, autant que dans La double énigme de Siodmak, l'on ne nous aura expliqué de façon plus directe les principes de base utilisés par Freud. Associations d'idées, test de Rorschach ou encore l'importance des traumas vécus dans l'enfance. Un des buts du film semble clairement l'appropriation par les public des concepts de la psychanalyse, ou en tous cas la compréhension des pratiques phares. Le test de Rorschach est notamment décrit et expliqué avec moult détails par le médecin qui va se charger d'analyser les deux sœurs, en collaboration discrète avec la police. Pour achever le tableau, le médecin est amoureux d'une des deux sœurs, l'innocente bien entendu ; son travail n'est donc pas aussi désintéressé qu'on peut le croire, tant il veut avant tout découvrir laquelle est l'élue de son cœur pour pouvoir se déclarer. Au fil du récit, les deux femmes vont se différencier de plus en plus ; on pensera à d'autres film explorant cette dualité, Faux-semblants de David Cronenberg (1988) ou encore Sisters (1973) de Brian De Palma.

    Chaque pièce est en place, et chacun joue son rôle à la perfection ; mais les effets de surprise restent malgré tout très présents, notamment grâce à Olivia de Havilland qui réussit à habiter deux personnages complètement opposés ; l'on se demande même souvent laquelle est devant nos yeux, tant elles peuvent tromper  la fois les personnages du film, et nous-même. Siodmak et son directeur photo Milton R. Grasner (ce dernier avait éclairé l'année précédente La rue rouge, grand film noir de Fritz Lang) utilisent astucieusement les deux profils de l'actrice afin de dessiner des différences d'ombres, de regards, d'expression, comme un double inversé pas tout à fait raccord. Les nombreuses scènes de multi-expositions (où deux Olivia de Havilland sont présentes dans le même plan) sont bluffants. Dans un ensemble somme toute assez balisé, mais extraordinaire de maîtrise formelle, l'acte final est superbe, ménageant tout  la fois le suspense et bannissant un véritable happy end. La double énigme est finalement un ravissement au propos trop didactique. Mais quels grands moments !

  • Classics Confidential : Menaces dans la nuit (1951)

    Un film de John Berry

    6955776543_d436f1277e_m.jpgIl fallait être pas loin de fou, vu l’implacable chasse aux sorcières qui sévissait alors, pour mettre sur pied un film comme Menaces dans la nuit : à l'aide d'une équipe quasi-intégralement connue pour ses sympathies communistes, John Garfield et Bob Roberts, avec leur société de production nouvellement créée, voulaient à tout prix faire un film en marge de l'esthétique et de la morale traditionnelle des studios hollywoodiens. Et He ran all the way (son titre original bien plus parlant) allait incarner cela.

    Après un braquage qui tourne mal, Nick Robey (John Garfield) tue un policier et s'enfuit. Dès lors, tout ce qui l'entoure, sons, objets, personnes, lui sembleront suspects, susceptibles de l'envoyer directement en prison et, très certainement, de le tuer. Mais il est bel et bien emprisonné à la minute où il commet l'irréparable. Le spectre de la culpabilité le hante dès lors au plus profond de son être, comme si cela était inscrit jusque sur son visage, constamment en sueur ; ses yeux deviennent deux billes noires remplies de colère rentrée et de désespoir. Le personnage de fiction et l'acteur fusionnent à tel point que, peu après l’issue fatale que l'un connaîtra, l'autre connaîtra le même sort.

    Il y a dès le début de ce long-métrage un malaise palpable. Malaise des personnages eux-mêmes, qui déteignent, tâches indélébiles, sur les relations qui les lient aux autres. La scène du bar où Al (Norman Lloyd) vient chercher Nick, ce dernier ne donne pas l'impression de choisir son destin ; il agit plus par désœuvrement, ou désespoir déjà, que par une réelle volonté : celle-ci, c'est Al, le cerveau de l'affaire, qui l'a. Le comportement de Nick est d'autant plus étrange au vu de la gravité de ce qu'ils vont commettre, dont on comprend bien qu'il s'agit de leur premier coup. Le même sentiment d'ambiguïté nous frappe quand, pour se fondre dans la foule, Nick se rend à la piscine municipale. Là, toujours poursuivi par le démon invisible et omniprésent de la culpabilité, il se retourne à chaque policier croisé, la sonnette d'alarme tirée en permanence. Après une brasse coulée, il heurte Peg Dobbs (Shelley Winters), avec qui se crée dans l'instant un lien d'attirance / répulsion. Nick, toujours préoccupé à paraître le plus "normal" possible, met en scène une leçon de natation pour sa nouvelle partenaire, la serrant bien près. Une danse aquatique, faite de séduction et de violence, de doux rapprochements comme de brutales ruptures, emmène les deux personnages dans un rapport tout de suite très intime. Cette ambiguïté va perdurer durant tout le film, aboutissant à la terrible scène finale. De même, lorsque Peg consent à emmener Nick chez elle, ils se livreront bientôt à une autre danse, plus classique cette fois. La brutalité sera cette fois plus évidente, Nick serrant Peg si fort qu'elle ne peut plus respirer et, dès lors, clôt cette parenthèse. Nick reste insaisissable, son visage reste constamment fermé, mais l'on peut aisément lire dans ses yeux la marque de la fatalité. 

    6809666264_455a04c1fe_m.jpgLa saine réflexion n'a pas cours dans l'univers de Menaces dans la nuit (pas plus que dans la majorité des films noirs), tant chaque action semble improvisée par l'urgence, et rapprochant chaque fois plus l'issue fatale du personnage. Ainsi, c'est le hasard qui met Peg sur la route de Nick ; d'instinct, ce dernier songeant à se protéger du regard extérieur, comprend qu'il sera à l'abri chez Peg. Utilise-t-il consciemment l'attirance qu'elle éprouve pour lui ? Non, il est plutôt en prise avec une peur panique incontrôlable. D'où cette impression de paranoïa constante, qui vampirise d'ailleurs le film, enfermé dans huis-clos étouffant incluant les parents et le petit frère de Peg. Le choc entre le solitaire et nerveux Nick, avec la famille aimante de Peg, explose dans des brèches ouvertes notamment par le père, dans cette scène où il tente, pour retrouver un semblant de sérénité, d'assembler sa maquette de bateau. Ces explosions de tensions arrivent, de la même manière, de façon improvisée, c'est-à-dire non prévenues. A l'inverse d'une grammaire hollywoodienne où chaque émotion, chaque tournant de script est amené et préparé (musique, enchaînements de gros plans ou de champs / contre-champs), le spectateur est surpris par tout, l'aspect général du film gardant un côté brut, dans ses lumières, son montage, ses dialogues, ses personnages ; et reçoit le final en violent uppercut. Le fond du film est ainsi en accord avec sa forme. 

    Le livre érudit qui accompagne cette édition DVD signée Wild Side est, comme d'habitude, très éclairant sur l'histoire du tournage du film, comme à l'habitude orné d'un nombre conséquent de documents publicitaires d'époque. Samuel Blumenfeld, critique au Monde et co-auteur du meilleur ouvrage sur Brian De Palma, livre un texte passionnant. Chasse aux sorcières, déchéance de John Garfield, confidences de Shelley Winters, historique du (des) scénario(s) rédigés pour le film, on a là affaire à un ouvrage définitif sur le film, organisé de telle façon que le lecteur assiste à une sorte d'enquête d'où Blumenfeld fait ressortir les anecdotes, faits marquants, confronte les visions des protagonistes... On le conseille vivement pour qui veut avoir une compréhension plus large de He ran all the way. Une très belle édition pour un film film noir (ou plutôt "gris", comme s'en réclament ses créateurs, moins excentrique dans sa forme et sa psychologie, plus brut, au réalisme plus saisissant) marquant. 

    A consulter également : la critique de Anthony Royer sur DVDClassik, et le très bon documentaire présent sur le DVD du Facteur sonne toujours deux fois (Tay Garnett, 1946).

    Crédit images : visuel dvd © Wild Side Video
    John Garfield et Shelley Winters © Laszlo Willinger

  • Le Faucon maltais (1941)

    Cliquer sur l'image pour accéder à la chronique du film :

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